Jean SANNES
L’œuvre de Guy Chambelland (1927-1996) serait mutilée, si l’on omettait d’y associer les trois pseudonymes du poète.
Le redoutable critique Maxime Duchamp, en premier lieu. C’est sous ce nom que Chambelland officiera d’une plume acerbe et impitoyable dans Le Pont de l’Épée. Qu’il écrive sous son nom ou sous celui de Duchamp (mais personne n’est dupe), Guy Chambelland impose un ton critique de haute voltige et une pertinence rarement égalée. Jugeons-en par cet extrait (Le Pont de l’Épée n°13, janvier 1961) : « La poésie c’est autre chose que de l’habile bla-bla et de la cogitation racornie… M. Bosquet n’est pas aveugle ; c’est plus grave, il est impuissant… Le maniaque de l’élucidation… Il a l’aiguillette nouée (Duchamp me souffle : « Ce Boileau caressant son absence de sexe »)… Il a eu le courage de ne pas se dérober au bilan de faillite où on l’avait « embarqué »… Il n’y a pas moins d’inespoir chez Becker ou Frénaud, et pourtant quel frisson se dégage de leurs poèmes ! C’est que sous cet inespoir couve cet inexplicable amour des formes que ne peut pas ne pas être la poésie… Un chant naît toujours de la poésie, qui transcende le nul. Rien de cela chez M. Bosquet… On ne s’y adresse qu’à l’esprit dans ce qu’il a de plus sec – je risquerais : de voltairien –, presque aucune ligne ne laisse rêver et la voilà bien la vraie faillite : des mots généraux, des expressions prosaïques, éculées, des images sans écho ni contenu, ni contenant, où boire ? Ce Testament, s’il ne lègue rien, sent la décomposition ». Chambelland, c’est un ton inimitable et reconnaissable entre tous, tant en création qu’en critique. Il était l’un des rares à être capable d’écrire avec originalité sur des aînés ressassés et ressassés pourtant (cf. revue Le Pont sous l’eau), et à nous les présenter comme neufs, à l’image de son Verlaine ou de son Charles d’Orléans. Il réussira même la prouesse de trouver des pièces valables chez ce poète pédant qu’est François Coppée.
Deuxième pseudo : le poète Jean Sannes, que nous découvrons en 1969, avec les poèmes de Scénario 13, dans le numéro 41 du Pont de l’Épée, et en 1977, avec Requiem pour femme bleue ; une belle plaquette de poèmes publiée par le Pont de l’Épée : Une fois de plus beauté – je t’aurai vue femme – et saluée graal. – Une fois de plus – j’aurai dû – t’apprendre, ma trop rêvée ma vie – de la femme à la femme – des dieux à la bourgeoise. – Bonjour grand vide – je veux dire : poème.
Et enfin, Edmond Carle, dont Ricercare paraît, précédé d’un entretien, en 1993, dans le numéro 7 du Pont sous l’Eau : Écrit le beau ne dit que la lumière – On ne sait rien qu’un poids d’os et la vigne – d’après vendange, où se dore nul signe – oiseau limpide au point de n’être qu’air.
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Épaules).
À Consulter sur le site des HSE: la Fiche auteur de Guy Chambelland.
Bleu
ne fallait-il
qu'aimer le bleu?
Savoir noire toute femme
lumière seulement dans les mots
Le peintre dont j'ai besoin
pour la fixer hors misère
parle couleurs il dit:
tu prends tes tripes
ta merde même
pleine pâte pleines pattes
tu brasses tu pelotes
jusqu'à t'en sentir palmé
et tu jettes tu fous tu flaques
Rien n'a de forme que gratuite
illusoire éphémère absurde
tu vécus bleu:
tu fais tout bleu
pas seulement les lilas l'ardoise
sa veine au poignet aux reins
son regard renversé
mais le sang les nerfs le sperme
son foutre sur tes couilles
patauge au bleu
dépasse le spasme du seul amour
sue pleure vomis chie bleu.
La mort n'est qu'au bout des visages
décevante comme cul baisé.
L'AMOUR NE MEURT
DANS TA COULEUR
Jean SANNES (Guy CHAMBELLAND)
(Poème extrait de Les Hommes sans Épaules n°21, Numéro spécial Guy Chambelland poète de l'émotion !, 2006).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Henri RODE, Paul VINCENSINI, Serge WELLENS n° 2 |